Il pleuvait.
C'était bien sa veine.

Par chance, Geralt était un cavalier expérimenté : ce n'était pas la première averse sous laquelle il devait manœuvrer sa monture, et ce ne serait sans doute pas la dernière. En outre, il avait le regard assez perçant pour que ni les intempéries, ni les ténèbres de la nuit ne l'empêchent de voir la silhouette de l'école se profiler au loin.

Le voyage avait été long, assez pour que la perspective d'arriver enfin à destination soit réjouissante même pour lui.
Après toutes ces années passées à sillonner les routes, à dormir plus souvent à l'extérieur que dans le confort d'une chambre, savoir qu'un lit l'attendaient quelque part - fût-ce uniquement dû à sa fonction - n'était pas désagréable.

L'hippogriffe sur lequel il était juché amorça un atterrissage tout en douceur, quittant enfin l'écrin de nuages dans lequel il s'était enveloppé pour masquer sa présence.
Ses pattes griffues se posèrent directement sur le campus, permettant à Geralt d'en descendre d'un bond, le bruit de l'eau sur le pavé noyant même le tintamarre métallique de son paquetage.
Comme tout sorceleur, il avait pour habitude de voyager léger, un excédent de bagages ne servant qu'à les ralentir. Toutefois, il n'avait pas toujours le choix de ne pas s'encombrer.

Repoussant la capuche de sa pèlerine, il poussa un soupir de fatigue et de soulagement entremêlés.
Cela faisait deux mois qu'il était parti. Ilukaan était la première chose qu'il voyait depuis qui ressemble à un endroit hospitalier.

Merci, ma belle. fit-il en flattant le museau de sa monture, qui en glatit de satisfaction.

Si long soit-il, le trajet ne semblait pas l'avoir éprouvée à outrance : elle devrait pouvoir le faire en sens inverse. Elle connaissait le chemin désormais, même sans lui pour la guider.
Fouillant dans les poches de sa ceinture, il en tira deux tranches de viande séchée, qu'elle s'empressa d'avaler.

Rentre à la maison, maintenant.

La chimère ne se le fit pas dire deux fois, prenant ce qu'il lui fallait d'élan pour pouvoir décoller. Il la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle se soit confondue avec le camaïeux de gris que le ciel avait choisi d'arborer.
Il ne lui faudrait sans doute que quelques heures pour regagner la Pologne. Il ne se faisait aucune inquiétude pour elle : Ablette savait se débrouiller par ses propres moyens, et avait été dressée pour rester à l'abri des regards.

Cela fait, il rehaussa le sac sur son épaule et tourna les talons pour se diriger vers le bâtiment.
Au loin, un clocher sonnait deux heures du matin.

Le fait que Geralt continue ses « autres activités » dans son temps libre était un secret de polichinelle. Il évitait de s'en ouvrir à tout un chacun, mais n'allait pas non plus jusqu'à le nier à qui lui aurait posé directement la question.

C'était indirectement dans l'intérêt de l'administration de fermer les yeux sur les problèmes éventuels que cela aurait pu poser : poursuivre ses activités lui permettait d'entretenir sa réputation, laquelle profitait en retour au statut d'excellence dont l'école pouvait se vanter. Sa notoriété était bâtie sur ses talents de chasseur ; chasseur il devait rester - ne serait-ce qu'à temps partiel.

Certes, il y avait toujours le risque qu'il finisse par se faire tuer lors d'une de ses escapades, mais n'importe qui pouvait connaître une fin prématurée - que ce soit sous les griffes d'un loup-garou ou d'une mauvaise chute en balai. C'était l'exacte raison pour laquelle il avait toujours dédaigné ce moyen de transport, pour lequel il n'avait aucune affinité.
Dépourvu d'enchantements, un hippogriffe passait peut-être plus difficilement inaperçu, mais avait en principe assez de conscience propre - et d'instinct de survie - pour restreindre les risques d'accident. Du moins veillait-il à éduquer les siens en ce sens, celui-ci comme tous ceux qui l'avaient précédé.

L'appel du devoir, se justifia-t-il avec l'ombre d'un sourire. Tu sais ce que c'est.

Sans quoi il ne serait pas là pour lui ouvrir. Rien ne l'y obligeait, bien sûr, il y avait des limites à ce que l'on pouvait attendre de lui en échange d'un salaire, mais il ne semblait pas être incommodé plus que cela par ces veilles forcées - ou cet arrangement n'existerait pas.
Geralt n'était pas sans savoir que ses horaires d'arrivée étaient contraignants pour des gens aux horaires plus normaux que les siens, et n'était pas homme à demander que l'on prenne des mesures juste pour lui. Eut-il fallu attendre sous la pluie que l'école ouvre ses portes de bon matin pour pouvoir y rentrer, il s'en serait accommodé ; mais heureusement, ce n'était pas nécessaire.
De surcroît, au-delà du côté pratique de la chose, il fallait admettre qu'il était plus agréable d'être accueilli - par un visage familier, de surcroît - que de devoir se faufiler comme un voleur dans l'enceinte du bâtiment, aussi solitaire soit-il. S'il lui fallait sociabiliser, il était plus à sa place dans ces colloques à la faveur de la nuit qu'en présence d'une quelconque assemblée.
L'obscurité était son élément ; il était peu probable que cela change un jour.
Les vieilles habitudes ont la peau dure.

Pas aujourd'hui, non. finit-il par dire après une brève réflexion, le décalage horaire n'aidant pas à se figurer l'heure à laquelle il avait pu prendre son dernier repas. Je ne voudrais pas m'imposer, mais si ça te rend service que je t'en débarrasse...

Feignant la désinvolture, il ébaucha un haussement d'épaule, une lueur amusée dans le regard.
Là encore, ces en-cas nocturnes n'étaient pas une première. C'était, après tout, sa quatrième année à Ilukaan qui allait commencer dans quelques jours : c'était, à son échelle, plus de temps qu'il n'en faut pour installer rites et traditions. Passant une main gantée dans ses longs cheveux blancs pour en chasser l'eau de pluie, le Loup Blanc scruta rapidement les environs.

Pas de problème, cette nuit ?