Parfois on se dit qu'on est assez fort. Qu'on ne pleurera pas. On se dit "
Ça va le faire" quand clairement ça ne va pas. Et arrivé le jour J, le moment fatidique, toutes ses paroles se sont envolées et on est seul avec nous-mêmes. Ou plutôt en tête à tête avec nos frustrations, les colères et les tristesses qu'on a jamais su régler. Et ça fait mal.
C'est comme si on se faisait déchirer les entrailles mais malgré ça et après toute cette douleur perpétuelle, tu continues quand même à vivre et à subir. Et ça fait tellement mal.
Et le pire dans tout ça, c'est que tu dois garder la tête haute devant les autres. Tes proches. Car ce n'est pas toi de pleurer. Ce n'est pas toi de souffrir ouvertement en public. D'extérioriser tout ton mal être.
Et c'est insupportable.
C'est insupportable d'être Gabriel Reyes et de ne pas pouvoir demander de l'aide. Car l'orgueil est trop grand. On se doit d'être un mur, incassable, sur lequel se reposer et tout ça pour les autres. Mais certains savent. Ils vous connaissent trop. Sans un seul mot, ils viennent, ils vous dorlotent jusqu'à ce que vous retrouviez le sourire. Au moins une fois.
Ça commence à chaque fois le 7 août. Et ça s'arrête quand les fantômes de mon passé veulent bien me laisser tranquille. C'est-à-dire, pas maintenant.
Vous voulez bien me laisser tranquille? Si vous ne voulez pas, tapez deux fois.
...
"Toc-toc"Qui est là?
...
La dépression.
Je roule dans ma couette une énième fois, comme si cette dernière allait me donner l'affection dont j'ai besoin. Mais rien. Je grogne. Tante Esmeralda vient toquer à la porte. Je chasse les idées noires à coup de frustration et me lève de mon lit avec peine. Je suis toujours en pyjama, je n'ose même pas me regarder dans une glace. Ça doit pas être beau à voir.
-"Mon ange, tu es levé?" l'espagnol dès le matin ça pique, surtout quand on ne fait que penser en anglais. Je réponds dans la même langue, sifflant les "r" plutôt qu'en les roulant.
-"Ouais...t'en fais pas. J'ai pas oublié Mabel."
-"Je dois partir mais je t'ai laissé des pancakes sur la table. A ce soir, Gabe!"A ce soir. Mais elle est trop rapide. A peine j'essaye de comprendre le quoi du comment que la porte claque. Je suis à nouveau seul.
Un long soupir.
Je regarde l'heure;
10h15. Il est bien trop tard. Je file déguster les pancakes avec un appétit qui me coûtera une bonne heure de sport et je m'en vais me préparer pour la toute fameuse. Pas le temps d'arranger cette foutue barbe, on verra plus tard. Qu'est-ce qu'elle dira quand elle arrivera ici? Cette chambre à peine rangée, les cadavres de mes clopes finies à même le sol. Avec une odeur de renfermé pareil, il faudrait déjà aérer. Une petite heure pour arranger ce foutoir. C'est pas gagné.
...
Finalement habillé et lavé pour le soleil de LA, j'ouvre déjà les fenêtres en grand pour commencer avec peine, à passer le balais. Ça me rappelle, quand je travaillais à Another Round. Le soir, après avoir viré les derniers trous du cul au sang plein d'alcool, c'est le calme après la tempête. Ça a presque quelque chose de religieux. Passer le balais pour signer la fin d'une soirée et le commencement d'un autre jour, d'une nouvelle ère...
11h26Le sol est propre. Et tout est à peu près à sa place. Je crois. Je m'approche de mon bureau et comme si le destin n'était pas assez cruel comme ça, mon regard se pose sur une photo de moi. Tout petit et innocent. Avec mes parents, tout souriant. Impossible de reconnaitre que c'est moi avec cette bouille d'ange, ses joues toutes rondes et ce grand sourire.
(T'as le sourire de ta mère et les yeux espiègles de ton père.)
C'est vrai qu'à y regarder, il y a un air de ressemblance entre eux et moi. Quoi de plus normal. Je suis leur fils après tout. Mais qu'est-ce qu'ils auraient dit, en me voyant comme ça? Sur ce que je suis devenu aujourd'hui? Est-ce qu'ils seraient fiers que je sois un excellent étudiant Auror en devenir ou dépités de voir que je suis incapable de faire une croix sur le passé? Certainement un peu des deux.
Je repose le cadre doucement avant de saisir la clé de ma voiture et je fonce. Je suis déjà en chemin pour l'accueillir à l'aéroport. Je l'entends déjà dans ma tête, me sermonner avec son petit sourire espiègle. Musique à fond dans mon gros pick up noir et plus vite qu'autorisé, je me gare dans le dépose-minute en claque-sonnant, à attendre la petite princesse. Je ne regarde même pas autour pour voir si elle est là et saisis mon portable à la vitesse de l'éclair pour lui envoyer un rapides sms:
"
Je suis au dépose-minute."
Ça me changera les idées. Elle me les changera.
De toute façon, elle est là pour ça, non? Je ne peux rien lui cacher à celle-là.
Une vraie
Mama.