Une oeillade adressée aux reflets de l'eau qui se mouvait sous l'agitation puérile de ses gambettes suffit à la faire soupirer. Son échine prit la peine de se courber lorsqu'une volonté de contacter la surface du bassin par le biais de la pulpe délicate de ses doigts s'éveilla chez la jeune fille. 

Ce n'était aucunement la potentielle fraîcheur des eaux qui l'incombaient, ni même l'ombre excessive qu'offraient non sans une bonté naturelle les pins à ce point d'eau que les regards peinaient à atteindre. Tapis derrière les écorces et autres feuillages du bosquet, un lac miniature flattait le sens de la vue de ses rares visiteurs. L'étendue aqueuse, quoique peu élargie, offrait un ravissement inéffable aux mirettes amatrices de belles choses et de décors féeriques. Aussi un esprit à l'imagination poussée aurait-il sans aucun doute pu compter les diverses présences de créatures ailées, dispersées dans ce paysage forestier et mises davantage en lumière par les sillages chaleureux d'un soleil sicilien, si cher au coeur des vacanciers. 

A la venue de ce songe, Evalyn éleva son minois en direction des traçages lumineux de ce bel astre du jour. A sa grande satisfaction, elle fut dans l'incapacité de discerner la moindre silhouette folklorique aux abords de ce bassin épargné des vagabonds. Sa déception n'était pas grande; elle avait passé l'âge de penser que les fées partagaient une quelconque bienveillance avec les pratiquants de magie, et que ces derniers coopéraient avec elles dans l'espoir de parachever leurs recherches sur le monde de la sorcellerie. Bien que jolies, elles n'étaient utilisées qu'en tant qu'ornements susceptibles de réhausser les valeurs des décors des résidences. 

Et, quand bien même la jeune fille ne comptait plus parmi ses souhaits celui d'en rencontrer une, elle se souvenait sans mal des rêveries qui l'animaient lorsqu'elle contemplait jadis les illustrations de ces créatures dans l'un des manuels poussiéreux de sa mère, dont elle tenait l'héritage sorcier.

Elle se souvenait sans complication des reflets miroitants de leurs ailes, et de leur iridescence prompte à happer l'oeil des adorateurs de couleurs. Son ignorance quant à leur véritable tempérament teigneux avait duré jusqu'à l'un des cours de concotion de potions, lors de sa première année, où l'un de ses semblables lui avait chuchoté à l'oreille que les fées, à qui l'on avait ôté les ailes afin de préparer l'élixir de la leçon, étaient en réalité si imbues d'elles-mêmes qu'elles ne réchignaient pas lorsqu'il s'agissait de les exposer au sein des porcelaines et autres tapisseries appréciées des bons décorateurs. La désillusion au sujet de ces petits êtres lui était tombée dessus lorsqu'elle avait alors réalisé que les fées avaient l'intellect médiocre au point d'accepter, par pur orgueil, d'être un fragment ornemental parmi tant d'autres. 

A cette bribe de souvenir, Evalyn abaissa à nouveau les iris vers l'eau.

 Une vasque naturelle aux ondes si bleues lui remit en mémoire le safre particulier de l'unique oeil de l'une de ses connaissances; en l'occurrence, l'oeil de celui qu'elle attendait depuis un bon moment déjà. 

Délaissant ses réminiscences d'un autre temps, la jeune peintre laissa à sa joue le loisir de prendre appui sur la paume de sa main, laquelle était reliée à l'un de ses coudes reposant sur sa cuisse. 

Ses propres paroles lui revinrent en mémoire. 

"C'est pas bien compliqué de nager, Ciel. Avec de la volonté, n'importe quel idiot y arriverait."

... Avait-elle été trop dure, à la prononciation de ces paroles ? A vouloir être bien franche, l'avait-elle vexé ? Sachant que le jeune Ursirre était de temps à autres plus susceptible qu'elle ne pouvait l'être au quotidien, elle se questionnait désormais sur la portée de ses dires. D'autant plus qu'elle avait elle-même pris l'initiative de lui proposer une séance de nage improvisée, ici-même, en cette matinée ensoleillée. Une interrogation s'imposa au beau milieu de ses pensées. 

Allait-il venir ? 

Pleinement consciente de l'attention qu'apportait le Londonien à son image, elle avait jugé bon de lui donner rendez-vous dans ce recoin du bosquet avoisinant la grande résidence peuplée par les écoliers d'une certaine école de magie canadienne trop bien connue. Comprendre que le garçonnet ne souhaitait pas être vu en pleine tentative de brasse là où elle s'était assurée qu'il pourrait avoir pied ne lui était que trop évident. C'est-à-dire qu'il s'agissait là d'un de leurs nombreux points communs; la conservation de leur propre image, et leur appréhension envers la découverte d'une de leurs failles aux yeux d'autrui. 


Pour autant, là où on aurait pu penser qu'Evalyn était capable de ricaner face à cet aveu relatif à une lacune non négligeable en milieu aquatique, aucune once de rictus ne s'était dessinée sur ses lèvres pourtant si réputées pour leurs sourires condescendants. Ciel n'avait, pour l'heure, reçu aucun jugement de la part de la Cervirald; aussi, pendant ce temps où elle attendait - et espérait patiemment la venue de son collègue, elle s'imposa l'ordre de demeurer douce durant cet infime apprentissage. C'est qu'il avait mis sa fierté de côté, et elle était, sans réellement se l'avouer, ravie d'avoir été choisie en tant que préceptrice dans le domaine nautique. Sebastian lui-même n'aurait pu remplir cette tâche aussi bien qu'elle, elle en était persuadée.

Une frêle silhouette extirpée d'entre les feuillages alentours eut toute l'occasion d'alpaguer l'attention de la jeune fille tant le flux de ses pensées la rendait à l'affût du moindre son étranger. Une vocalise qu'elle ne connaissait que trop bien prit la peine de s'élever légèrement.

"Bonjour Evalyn."

Elle ne connaissait que trop bien ce timbre frais et posé qui auréolait les dires du jeune homme lorsque ce dernier, dans sa grande bonté patricienne, faisait l'honneur d'échanger avec autrui. Rien n'éveilla la suprise de l'Océanienne, qui réprima une onomatopée relative à l'effort lorsqu'elle jugea bon de se redresser.

Le simple fait de la voir se tenir de nouveau sur ses deux gambettes lui conférait de prime abord une attitude altière. Et si l'on pouvait s'attendre, de sa part, à une remarque mécontente comme elle en était l'experte, force était de constater qu'elle patientait visiblement d'assister à la fin de la prise de parole du petit Ours afin de s'exprimer à son tour. Un acte de politesse non négligeable qu'elle s'était surpise à exécuter souvent en présence de Ciel, qu'elle savait natif de l'environnement aristocratique. Elle n'en était pas particulièrement hostile; et ce n'était pas la situation financière ou toute autre classe sociale qui lui avait plu, chez cet étudiant à la paupière pansée.

"Comme tu peux l'observer, je suis bien venu. Et je suis motivé à prouver ce que je vaux vraiment !

D'une façon similaire, la réplique qu'on lui accorda ne lui soutira aucune émotion désagréable. Elle qui s'était souvenue récemment des commentaires déplaisants qu'elle avait fait au Britannique quelques jours auparavant, elle s'attendait à ce qu'il y mette tôt ou tard quelques mots. Le principal était établi cependant : Ciel ne l'avait pas abandonnée pour cette séance spontanée de nage.
Un poing acculé contre sa hanche, et la senestre levée pour lui intimer qu'elle souhaitait placer l'une de ses propres interventions cette fois-ci, Evalyn entrouvrit les lèvres.

"Sa-... Je veux dire, bonjour, Ciel." entama la demoiselle. "Je suis ravie de constater que tu ne m'as pas posé de lapin aujourd'hui. J'aurais été froissée de ne pas te voir pointer le bout de ton nez dans les parages."

Ses sourcils se froncèrent avec légèreté. Bientôt, son ton s'éprit de nuances témoignant d'un embarras naissant.

"Écoute. Entre nous, je pense qu'il y avait de meilleures façons de te proposer cette séance de nage. J'ai dit ça comme ça, le terme "idiot" ne te concernait pas, tu le sais bien. C'était une façon de dire que ... dès qu'on s'y met sérieusement, ça vient tout seul. J'voulais pas que tu le prennes comme ça, j'suis désolée."

Les ultimes syllabes filèrent avec rapidité tant le rouge lui montait aux joues à la simple pensée qu'elle venait de s'excuser. Sa paume s'abaissa, signifiant qu'elle avait terminé son annonce primaire; aussi ses bras retombèrent-ils le long de son corps pour permettre à ses dextres de se joindre dans le bas de son dos. Son faciès pivota sur sa gauche, et entreprit d'aviser le point d'eau.

"... Je me suis assurée que tu puisses avoir pied ici. T'as tout ce qu'il te faut ?"

Une tonalité moins encline à se hausser pouvait faire comprendre au nouveau venu qu'un sentiment de culpabilité la gouvernait pour l'heure, et qu'elle n'était pas là pour soumettre son sens de la moqueries aux difficultés futures du nageur en devenir.

Il ne lui fallut qu'une fraction de seconde pour axer son minois vers celui de son compère, dont elle attendait la réponse, avant de débuter cet entraînement privé. Un passage furtif et léger de la brise champêtre s'osa à tracer un passage entre le duo; il en taquina brièvement les boucles de la dessinatrice, et incita les broderies de ses habits de bain à s'agiter, non sans fébrilité. Un coup d’œil jeté à la besace de Ciel suffisait sûrement à ce dernier pour comprendre que sa camarade se révélait curieuse de son énigmatique contenu. Peut-être renfermait-elle des atours de rechange, ou tout autre élément susceptible de parachever son habillage ?

Ses mirettes rencontrèrent brièvement celle de son nouvel interlocuteur à cette pensée, et elle saisit l'opportunité de se tourner avant de croiser ses bras sur sa poitrine. Non seulement elle se refusait de contempler l'un de ses proches se changer, mais elle donnait de ce fait à son semblable la chance de se changer convenablement sans craindre un quelconque regard appuyé ou attentiste que l'on pouvait faire déferler sur lui.

L'absence de réponse quant à son monologue quémadant le peu de miséricorde du Phantomhive ne manqua pas de la satisfaire. Si leurs esprits respectifs s'échauffaient de temps à autre lorsqu'il était question de désaccord, aussi rares soient-ils tant ces deux jeunes gens étaient similaires sur beaucoup d'aspects, la Verte appréciait pleinement les heures où ils n'avaient pas besoin de se comprendre, toute pipelette qu'elle était. 

"… Promets-moi de ne pas glousser face à cela."

Sitôt les talons de la brune tournés, Ciel en vint à expliciter son voeu de ne pas être la risée de sa camarade lorsque cette dernière verrait le motif de sa requête. 

Une onomatopée expectante prit l'initiative de traverser la barrière de ses lèvres; étant donné qu'elle avait pivoté pour laisser libre cours au jeune borgne à une séance d'habillage libérée de tout coup d'oeil irrévérencieux, elle s'attendait à entrevoir son partenaire aquatique en short de bain. Sommairement coquette, et de toute évidence n'étant pas une référence particulière en matière de mode, nul doute qu'elle n'aurait sans doute pas ricané à la vue d'un maillot de bain peu raffiné; Evalyn n'était pas là pour juger le charme - ou tout au contraire la potentielle laideur que pouvait inspirer une pièce de tissu.

Or ses attentes furent changées lorsque, d'un regard en biais, elle distingua le contour de la silhouette des bras de Ciel. Il ne lui fallut que quelques secondes pour notifier qu'il lui tendait quelque chose et, promptement, son buste se meut en la direction de l'Ours(on). 

Une teinte vive lui sauta aux yeux; celle du plastique criard arborant une teinte semblable à l'épiderme de la plus jolie des carottes.

"Peux-tu s'il te plait…M'aider à les gonfler…? Je n'en suis pas capable seul."

Le regard ocre de la Cervirald, si on l'aurait cru bon à couvrir Ciel d'un jugement terrible, fut tout autre. 

Une once délicate prit possession de ses yeux - et, peu à peu, l'on sentit qu'un sentiment inhabituel chez la jeune nageuse entama sa gouvernance dans les iris d'ambre de la benjamine des Wilson. Elle avisa l'âme en peine qui lui faisait face, et apprit grâce à toute la subtilité du geste qu'on venait de lui soumettre que Ciel mit son orgueil de côté pour la seconde fois en l'espace de quelques jours afin de, cette fois-ci, nécessiter l'aide de la demoiselle pour ... gonfler ses brassards à la seule force de ses poumons. 

Elle avisa en silence le teint de son apprenti, autrefois si opalin et désormais si érubescent. Ciel ne plaisantait pas lorsqu'il s'agissait de se dévoiler à Evalyn, et l'Australienne le comprit bien aisément. Aussi s'approcha-t-elle de lui à la suite d'un long silence songeur; dans un cas différent de celui-ci, elle aurait sans doute gloussé avec témérité face à l'exposition d'une faiblesse d'autrui. "Pas avec Ciel", avait-elle pensé lorsqu'elle saisit avec humilité les deux instruments supposés aider le jeune homme à flotter, le sachant pertinemment victime de moults dyspnées. 

"C'est bon."

Elle amena la percée du premier brassard à ses lèvres, et appuya un regard sur le néophyte avant de déclarer, étonnamment affable. C'est à croire que le souffrant était l'un des seuls capables de susciter les petites attentions de l'amatrice de peintures : après tout, elle ne se sentait pas légitime de le blâmer ou de se faire railleuse, compte tenu des mises à nu auxquelles elle avait assisté jusqu'à maintenant.

"Je vais m'en occuper, t'en fais pas pour ça."

Un travail de souffle débuta alors; il ne s'agissait pas là d'une tâche particulièrement assidue pour l'artiste, étant donné que son attrait pour les conversations était connu de beaucoup. Apte à libérer un débit de paroles parfois surprenant lorsqu'elle était prise dans un échange, les expirations qu'elle céda aux brassards lui révélèrent un potentiel respiratoire conséquent. Aussi l'aristocrate pouvait se préparer sans craindre les moqueries quelconques de son amie, prise dans la mission qu'on venait de lui confier. 

Les ondulations céruléennes de l'eau miroitante n'attendaient plus que le futur baigneur en devenir.