À peine eut-elle posé son pied au sein du Dôme, qu'une odeur assez familière fit son chemin jusqu'au nez de la Louve. Son odorat ne pouvait guère la tromper, elle reconnaitrait les senteurs de la peinture entre milles. Aussitôt, le regard émeraude de la Lupy fut attiré par un assortiment de couleurs flamboyantes couchées sur une toile posée à même le sol, et sa curiosité fut immédiatement attisée. Parmi le monde présent au sein de la salle commune, une personne, une jeune fille plus précisément, se distinguait nettement des autres de par l'activité dans laquelle elle s'était lancée, et les tâches de gouache qui envahissaient ses mains. Raiponce ne perdit pas une seule seconde pour aller à la rencontre de cette petite artiste en devenir.
De prime abord, la demoiselle à la fleur rouge semblait particulièrement perplexe à l'idée de laisser une pure inconnue prendre place à ses côtés, et il s'agissait là d'un comportement parfaitement compréhensible. Cependant, la fascination éprouvée par la Strauss quant aux travaux de sa cadette était telle qu'elle ne pouvait se résoudre à laisser passer une telle occasion. Voyant que la jeune fille ne lui fournissait pas la moindre réponse, se contentant simplement de scruter la Lupy de la tête aux pieds, Raiponce prit la liberté de venir s'installer près d'elle. Il est à savoir que la Strauss avait cette particularité de se montrer légèrement insistante lorsqu'il s'agissait de découvrir les talents de ses camarades. À sa grande joie, la Cervirald n'émit aucune objection.
Ainsi débuta leur séance de peinture improvisée. Tandis que la dénommée Evalyn paraissait concentrée sur sa propre œuvre, Raiponce, elle, venait tout juste de trouver l'accessoire qui n'allait pas tarder à être représenté sur sa toile : le ravissant Hibiscus qui ornait la chevelure châtaine et débraillée d'Evalyn. Sans tarder, elle entama à son tour sa création.
Si on voyait les deux élèves ainsi, côte à côte, liées par une même passion et partageant le même matériel, on aurait presque pu supposer qu'elles étaient de très bonnes amies de longue date, or, elles s'étaient rencontrées seulement quelques minutes auparavant. Et pourtant, bien qu'elles ne soient, à ce stade, que des inconnues l'une pour l'autre, Raiponce appréciait réellement le temps passé en sa compagnie, tellement qu'elle ne remarquait pas le temps qui défilait à toute vitesse.
Malheureusement, toute bonne chose devait prendre fin. Et ce fut la voix glaciale du concierge qui vint arracher Evalyn et Raiponce de leurs rêveries.
Étrangement, ce genre de situation n'étonnait plus la Lupy.
Elle ne tarda pas à présenter ses excuses au membre du personnel, avant de les destiner à la jeune peintre. Après tout, Raiponce était en partie responsable, elle le reconnaissait sans mal. Cependant, alors qu'elle commençait à ranger ses affaires qui s'était entremêlées à celles d'Evalyn, elle put voir, à son grand désarroi, que cette dernière ne semblait pas accepter les accusations de l'Ackerman. Ne comprenait-elle donc pas qu'elle ne faisait qu'aggraver leur situation, déjà bien assez délicate ? Toutefois, rien n'y faisait. Wilson ne paraissait pas décidée à se taire. Nul doute que ce visage d'ange dissimulait un caractère bien trempé. Désormais, aucun faux-fuyant ne pourrait être susceptible d'arranger leur condition, ce fut pour cette raison que Raiponce préféra garder le silence.
Le duo finit par se tirer de cette situation avec une salle de plus à nettoyer.
Après avoir mit de l'ordre dans le dôme, les deux jeunes filles se dirigèrent vers la Salle des Tableaux, la fameuse pièce qui leur avait été destinée. Evalyn n'avait cependant toujours pas accepté leur sanction, au vu des nombreuses remarques amères qu'elle lançait, probablement pour se décharger de sa colère.
« Je ne pense pas qu'il voulait prendre un café... » se contenta de répondre discrètement la Strauss.
Remarque inutile - je vous l'accorde -, qui se heurta d'ailleurs au silence de sa camarade.
« Tu peux m'appeler Raiponce ! Et non, je ne suis pas allergique à la poussière ! »
Tandis qu'elles continuaient de longer ce couloir vidé de toute âme, Raiponce prit le temps d'observer plus attentivement sa compagne de fortune. Derrière cet air renfrogné qu'arborait son visage, la Lupy était sûre qu'il se cachait une jeune fille affable et attachante. Elle devait simplement être dotée d'un fort tempérament, voilà tout ! En pensant une fois de plus à leur situation, Raiponce ne put réprimer un rire.
« Tu n'as vraiment pas froid aux yeux ! déclara-t-elle avec un sourire, une claire admiration pouvant se ressentir dans sa voix. Tenir tête à monsieur Ackerman ! Qu'est-ce qui t'a pris ? »
Raiponce n'en n'aurait jamais été capable, elle en était certaine. Elle trouvait cela particulièrement admirable.
Lorsque le binôme trouva ladite pièce, ils y entra sans perdre de temps. La première chose qu'elles purent remarquer fut que la salle était plongée dans l'obscurité. Quelques faibles rayons de lumière filtraient cependant à travers les rideaux, aussi, Raiponce se dépêcha d'aller les ouvrir. Un amas de poussière lui tomba dessus, lui arrachant une quinte de toux interminable.
« Tu avais raison, la salle en est infestée ! » lança-t-elle à la jeune peintre, entre deux toussotements.
Le tissu tiré, une chaleureuse lumière flamboyante se répandit dans la pièce. La Lupy avait été si concentrée dans ses échanges avec Evalyn, qu'elle ne s'était pas rendue compte de la vitesse à laquelle le temps était passé. Lorsqu'elle avait pris la peine de jeter un coup d'œil au ciel, le soleil était positionné à son zénith. Désormais, il se dirigeait peu à peu vers son déclin doré.
« FERMEZ DONC CE MAUDIT RIDEAU ! Il y en a qui essaient de dormir ici ! »
Le sursaut fut tel que Raiponce en fit tomber son balais. Elle se détourna brusquement de la vitre à laquelle elle faisait face, pour jeter un coup d'œil surprit à sa camarade. Il ne lui fallut pas énormément de temps pour trouver la détentrice de cette voix criarde. Une femme accompagnée de son chat, emprisonnés dans un tableau. Elle était positionnée devant une modeste petite maison, recouverte de lierres grimpants. Derrière elle se présentait un charmant paysage : une étendue verdure, et un ciel bleu, dénué de tout nuage.
« Euh...excusez-nous, commença la blonde sur un ton incertain, nous avons du travail ici...
— Vous le regretterez si vous ne refermez pas ce rideau. »
La Strauss jeta une œillade à sa camarade, se demandant si elle était aussi inquiète qu'elle. Sans qu'elle n'ait davantage le temps de s'expliquer, un cri strident se fit entendre à travers la pièce, brisant les tympans de la Lupy, et probablement ceux de la Cervirald également. Elle avait connaissance des tableaux vivants, mais elle n'en n'avait jamais vu d'aussi pénibles.
« Qu'est-ce qu'on peut faire ? Elle ne semble pas prête de s'arrêter... »
Elles ne pouvaient décemment pas mettre de l'ordre dans une salle plongée dans la pénombre. Et l'utilisation de leur baguette leur était strictement prohibée; le concierge les avait confisquées.
Raiponce se demanda, l'espace d'un instant, si Ackerman avait fait exprès de les envoyer ici, en sachant pertinemment ce qui les attendait.