Le mois de septembre s’achevait et avec lui les températures clémentes. En bon canadien, Jordan était habitué à ce que le mercure descende vite après la fin de l’été, mais c’était toujours un moment éprouvant que de se refaire aux picotements sur la peau, à la légère anxiété de tomber malade, aux grelottements avant et après la douche. Mais il y avait aussi une multitude de petits plaisirs retrouvés avec la fraîcheur ! Celui de s’emmitoufler dans une couette de laine, celui de faire du sport –parce que courir en pleine canicule est une abomination- ou encore, et c’est ce qui nous intéresse, celui de manger un bon repas chaud ! La nourriture d’Ilukaan ne devait pas être bien différente de celle d’un autre établissement scolaire, mais quand votre souffle se transforme en petites gouttes microscopiques sous vos yeux, n’importe quelle tambouille qui vous réchauffera fera l’affaire.

C’est en poursuivant cet objectif que Jordan se fraya tant bien que mal un chemin dans la marée d’élèves pour réussir à récupérer un plateau, des victuailles et de quoi les manger proprement avant de se hâter à l’intérieur du réfectoire pour trouver une table. Comme d’habitude, il privilégiait un quatuor de chaises vides, histoire de ne pas importuner quiconque, ni risquer qu’on l’importune aussi. Prenant place avec son plateau, il soupira d’aise en sentant le parfum familier d’un corned beef qu’on avait l’habitude de leur servir plusieurs fois par an. Mais au moins, il était chaud ! Tout en commençant à savourer le duo de choux et de de carottes rappées qui composait l’entrée, l’Urssire n’oubliait pas pour autant qu’il avait une lecture en cours.

Et cette fois nulle question de ce sport merveilleux, spectaculaire, émouvant, onirique, universellement superbe et badass qu’était le quidditch, mais quelque chose de moins sérieux, pour le plaisir. La Tour Sombre, tome 1, de Stephen King. Une série qu’on recommandait depuis longtemps au jeune homme, mais qu’il n’avait encore jamais trouvé le temps de lire. Mais là c’était la rentrée, le niveau d’inquiétude pour les examens n’était pas encore critique et il était plus que temps de déjà se distraire en lisant tout autre chose que les manuels de potion. Et puis c’était Stephen King quoi. Même si Jordan n’était pas un grand amateur de romans, il connaissait au moins cet auteur !

Enfin bref, les minutes défilèrent, le repas refroidit rapidement, mais l’adolescent demeura plongé dans sa lecture tant le style du maître es littérature lui plaisait. L’univers dépeint était presque post-apocalyptique, mais implémentait une figure qui émerveillait Jordan depuis tout petit : le cowboy solitaire. Il s’imagina rapidement à la place du personnage principal. Seul, perdu dans une étendue désertique et sans vie, ses pensées pour seule compagnie. Au final, on était assez proche de là où il se pensait être actuellement, puisque malgré le brouhaha ambiant il ne cilla même pas quand on emprunta la chaise à côté de lui pour la mettre à une table voisine. Il était absorbé, comme toujours, et la sauce de son corned beef commença à se solidifier en une pellicule brune et parcourue de bulles microscopiques, tandis que son entrée était à peine terminée.

C’est finalement en achevant un chapitre qu’il ferma son livre en posant, avec soin, un marque-page en carton et qu’il commença à entamer son plat. Autant dire que le seul intérêt qu’il y trouvait il y a quelques minutes c’était effondré, sacrifié sur l’autel de sa lecture qu’il regretta amèrement à la première bouchée de bœuf fade et émietté. Son caractère spontané l’invita à faire la grimace puis, dignement, il regarda à sa droite et à sa gauche que personne ne l’épiait, se saisit d’une serviette et cracha l’immonde bouchée dedans. Aujourd’hui, il ne mangerait que l’accompagnement, donc une purée de pomme de terre. Au moins dans le monde de la Tour Sombre il faisait chaud…